Le Tour d’Allemagne, à la recherche de la passion perdue
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Le Tour d’Allemagne, à la recherche de la passion perdue

Arrêté pendant 12 ans à cause des scandales de dopage et la chute de l’icône Jan Ullrich, le Tour d’Allemagne renaît depuis 2018 sous l’égide d’Amaury Sport Organisation. Ou comment un acteur français de l’événementiel sportif part à la recherche d’une passion perdue.

Depuis bientôt deux semaines, le monde du cyclisme regarde vers l'Espagne. Les étapes décisives de la Vuelta approchent et Primoz Roglic semble favori à la victoire finale. Le Slovène espère ramener le maillot rouge à Saint-Jacques-de-Compostelle et devenir le 3e coureur de l’histoire à remporter une 3e victoire consécutive (seuls Tony Rominger et Roberto Heras l’ont fait). A 2500 kilomètres au Nord-Est, à Stralsund, le Tour d'Allemagne débute ce jeudi. Mais tout y est moins impressionnant. A commencer par le nombre d’étapes (seulement 4, contre les 21 des Grands Tours). Mais aussi par rapport au statut qu'avait la course au début des années 2000, lorsque le boom du cyclisme déclenché par Jan Ullrich et Erik Zabel justifiait une course en 9 étapes. Avec les grands scandales de dopage et le retrait des chaînes publiques ARD et ZDF de la diffusion des courses, le Tour d’Allemagne a finalement été supprimé en 2008. « Le cyclisme sur route allemand n'a pas de tradition », notait déjà, en 1968, le cycliste professionnel français Jean Bobet dans Le Monde.


Pourtant organisé pour la 1ère fois dès 1911, il connut de nombreuses interruptions. Les deux guerres mondiales, le manque d'intérêt du public mais aussi des sponsors ont entraîné à plusieurs reprises des interruptions de la course, et ce pour plusieurs années. Si à la fin des années 1930, plusieurs courses de trois semaines étaient organisées en Allemagne (plus longues, à l’époque, que le Tour de France et le Giro), il s'agissait surtout d'un outil de propagande nazi visant à démontrer la taille du pays.


Les Allemands et le cyclisme, une histoire contrariée


Dans l'après-guerre, l'intérêt pour les cyclistes s'est parfois ravivé, par exemple lorsque Dietrich "Didi" Thurau a fait sensation sur le Tour de France dans les années 1970. Cependant, l'enthousiasme n'a toujours été que pour les athlètes, jamais pour le sport lui-même. L'ascension fulgurante de l’icône Jan Ullrich et sa chute d'autant plus importante ont fini par donner au cyclisme professionnel l'image d'une fraude, dont il ne s'est remis que très lentement parce que les sponsors et les chaînes de télévision s'en sont détournés. Et ce malgré les succès du champion du monde du contre-la-montre Tony Martin, de la star du sprint André Greipel ou de la nouvelle génération autour d'Emanuel Buchmann et Maximilian Schachmann.


Ces derniers ressentent d’ailleurs ce manque d’intérêt de la part du public. « Le Tour de France est vraiment la seule course qui apporte de l’attention de la part du public », nous confiait Emanuel Buchmann, meilleur espoir allemand en Grand Tour, alors que son coéquipier Maximilian Schachmann, double-vainqueur de Paris-Nice en 2020 et 2021, ne disait pas autre chose. « Je ne pense pas que beaucoup de gens en Allemagne s'identifient à ma victoire sur Paris-Nice, c'est dommage ». Il n'y a que deux courses sur le sol allemand dans le calendrier du World Tour, la première division mondiale : la Cyclassics de Hambourg et la classique Eschborn-Francfort. Deux jours de course, bien loin des 37 organisés sur le sol français. Le Deutschland Tour est lui considéré comme une course UCI Pro Series, de prestige moindre.


Pourtant, l'Allemagne est indéniablement une nation cycliste. En 2020, près de 4 millions de vélos ont été vendus en Allemagne, ce qui en fait le plus grand marché européen du cycle. Le Bund Deutscher Radfahrer (Fédération allemande de cyclisme) compte un peu moins de 145 000 licenciés, nettement plus que son homologue française (117 000 en 2018). Ce nombre n'a cessé d'augmenter ces dernières années. Des chiffres qui n'ont pas échappé à Amaury Sport Organisation (ASO), organisateur du Tour de France et de la plupart des grandes courses professionnelles. « L’Allemagne est un territoire trop important pour nous et nous voulions regagner ce marché », confie Claude Rach, le Head of Strategy & Business Development d’ASO et directeur de sa filiale allemande. La société française s’est donc lancée, au début des années 2010, dans un défi plus large que la simple expansion économique : la relance du cyclisme allemand.


Après avoir œuvré pour que le Tour soit de nouveau diffusé par les chaînes publiques (ARD a repris les droits en 2015, ndlr), ASO a pris peu à peu sa place dans le paysage. D’abord en reprenant l’organisation d’Eschborn-Francfort, et en désignant Düsseldorf comme Grand Départ du Tour de France 2017. « Nous avons été très surpris de l’enthousiasme à Düsseldorf. Cela a créé une véritable dynamique. Nous voulions en profiter et nous avons tout fait pour que l’Allemagne ait de nouveau un Tour », nous confiait, en 2019, Christian Prudhomme, président de l’organisation française.


Relancer tout l'écosystème du cyclisme allemand


Alors que les petites villes françaises se battent pour accueillir le Tour de France, l’histoire est différente en Allemagne. Malgré le grand succès du Grand Départ 2017, accueillir à nouveau le Tour de France n’est « pas un sujet d’actualité », d’après un porte-parole de la ville de Düsseldorf interrogé, dont les priorités sont l’Euro de football 2024 et les Universiades 2025. « C’est un vrai travail de fond pour convaincre les collectivités allemandes que le cyclisme est attractif pour elles », développe Claude Rach. Une candidature de Düsseldorf au Tour d'Allemagne n'est pas exclue à l'avenir, mais la ville souhaite soutenir davantage les courses régionales. Une volonté qui réjouit ASO, désireux de soutenir l’ensemble de l’écosystème du cyclisme allemand. « On ne veut pas uniquement relancer l’intérêt pour le cyclisme professionnel, mais organiser de véritables festivals du vélo, pour repopulariser le cyclisme, aux yeux des amateurs, des randonneurs et des jeunes », avance Claude Rach. « Condenser sur 4 jours des événements avec le week-end en point d’orgue nous permet d’être plus impactant. On organise par exemple des randonnées à vélo de 20 à 40 km dans les villes hôtes, des courses pour les jeunes talents. On cherche plus à élargir ce concept de festival du vélo plutôt que la course pro », développe le boss d’ASO Allemagne.


Cette année, le Tour d'Allemagne se déroule sur quatre étapes, de Stralsund à Nuremberg. En plus d’Emanuel Buchmann, 4e du Tour 2019, le quadruple vainqueur du Tour Chris Froome et le sprinteur Mark Cavendish font partie des partants. Une belle affiche. Si une 5e étape le mercredi est prévue pour l’édition 2022, ASO, qui a acquis les droits d’organisation du Deutschland Tour en 2018 pour 10 ans et devrait les prolonger, veut avant tout attirer les jeunes et fédérer autour du vélo. « Si on veut capter le public de demain, cela passe par les passionnés de vélo, et dès le plus jeune âge », conclue Rach. Deutschland, Deine Tour, (« Allemagne, ton Tour » en VF), est d’ailleurs le slogan de l’événement. Faire renaître la passion, permettre aux Allemands de s’identifier aux champions cyclistes et leur faire de nouveau croire dans la beauté du cyclisme professionnel, tels sont les défis que se lance ASO. Pour que l’Allemagne redevienne ce « grand pays de cyclisme », si cher à Christian Prudhomme.


Article écrit avec Christian Woop, journaliste pour le groupe de presse allemand Funke. La version allemande est à retrouver en cliquant sur ce lien.

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