Créé de toutes pièces en 2010 dans l’optique des Jeux Olympiques de Londres 2012, le Team Sky est un véritable disrupteur du cyclisme moderne. En 12 saisons, le collectif britannique s’est offert 12 Grands Tours, s’imposant comme la référence en la matière. De quoi en faire la meilleure équipe du 21e siècle.
Les téléspectateurs du Tour de France des années 2010 ont souvent eu droit au même spectacle, ennuyeux de répétition, mais impressionnant de maîtrise, sur les routes montagneuses. Un cortège noir, celui du Team Sky, emmenant son leader, tels des Stormtrooper escortant Dark Vador, à un rythme régulier mais tellement soutenu que chaque attaque de l’alliance rebelle était contenue sans sourciller. Le scénario était connu d’avance, et rarement les courageux Jedis ont su renverser l’empire Sky. C’est avec une tactique bien huilée et des coureurs hors normes, du leader au porteur de bidon, que le collectif devenu Ineos-Grenadier a marqué le cyclisme des années 2010. Aujourd’hui écurie la plus riche du peloton professionnel, la troupe de Dave Brailsford est, sans conteste, la meilleure équipe sur les Grands Tours de la décennie et même du siècle.
Histoire et palmarès : l’hégémonie sur les Grands Tours
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 12 Grands Tours remportés en seulement 12 années d’existence, dont 7 Tours de France avec 3 coureurs différents. Un véritable mastodonte du cyclisme, qui a tout simplement remporté un Grand Tour par an, sans exception, depuis 2015. Une machine. Pourtant, lors de sa création en 2010, l’équipe s’est construite à partir de rien. Le cyclisme britannique n’avait jusqu’alors que très peu de tradition, mais les Jeux Olympiques de Londres en 2012 ont donné des idées à la fédération britannique, la British Cycling, pour au moins faire illusion à domicile. Grâce à l’intérêt de l’opérateur BSkyB, une des plus grandes chaînes de télévision au Royaume-Uni, l’impossible s’est mis en route. Dave Brailsford, un touche à tout visionnaire, est nommé à la tête de l’écurie avec un budget conséquent. Il devait développer le cyclisme d’outre-Manche en s’appuyant notamment sur le vivier de cyclistes sur piste et permettre à un des siens de remporter le Tour de France d’ici 5 ans. Un objectif extrêmement ambitieux, à la hauteur du talent de Brailsford and Co.
En recrutant Braddley Wiggins comme tête d’affiche, le Team Sky figure rapidement comme un des plus gros budgets du World Tour, obtenant sa licence WT dès la 2ème année. Elle participe au Giro dès 2010, s’offrant le maillot rose dès le 1er jour suite au succès de Wiggo sur le prologue. Une victoire qui en annonçait bien d’autres : impressionnant sur la Vuelta un an plus tard, le Kényan Blanc Christopher Froome termine 2e de la course, derrière un Juan José Cobo déclassé par la suite. Mais c’est bien sur le Tour de France 2012, quelques semaines avant les Jeux at home, que le Team Sky atteint son objectif majeur, après seulement 2 ans d’existence. Un aboutissement ? Non, plutôt le début d’une hégémonie. Car en plus de la domination sur GT, le Team Sky a remporté le général de 24 courses à étapes, dont 20 au niveau World Tour (Paris-Nice, Dauphiné, Romandie, Tirreno-Adriatico, etc.). Un chiffre immense : seul Movistar a fait aussi bien au 21e siècle, mais en 22 saisons, soit 10 de plus que les Britanniques. Ajoutez à cela 2 Monuments, Liège-Bastogne-Liège en 2016 (Wout Poels) et Milan-San Remo 2017 (Michal Kwiatkowski), et vous obtenez le plus beau palmarès des 22 dernières saisons.
Spécialité et philosophie : l’armada et le train en montagne
Revenons à notre image de départ, celle qui en a peut-être dégouté plus d’un du Tour de France entre 2012 et 2019. Qu’ils soient 9 ou 8 dans l’équipe, la donne importe peu. Les ascensions se ressemblaient toutes, et les soldats de Dave Brailsford jouaient leur partition à merveille. Un concerto à 16 roues, interprété sans fausse note pour que chaque étage de la fusée amène son astronaute vers les sommets du classement. Sur le papier, rien de révolutionnaire : l’équipe du leader mène le train et emmène le peloton à son rythme, pour protéger son leader et contrôler la course. Sauf que cette dernière notion, le « contrôle de la course », n’a jamais été aussi bien appliquée depuis l’hégémonique Discovery Channel, au passé bien obscur. La stratégie du train en montagne a fait des ravages, à tel point qu’aucun adversaire ne pouvait renverser la course, même de loin.
Résultat : le leader du Team Sky était emmené sur un plateau vers la victoire, se retrouvant rarement seul et souvent bien accompagné. Pour appliquer cette stratégie rondement menée, il a fallu développer des talents insoupçonnés, comme Wiggins, Froome ou Thomas, qui n'avaient pourtant pas au départ le profil de vainqueurs du Tour, ou même de grimpeur. La formation britannique a créé un nouveau type de coureur, utilisant les watts qu'un rouleur est capable de développer pour la montagne. D'où le rôle du train pour que le leader ait un rythme régulier, l'inverse de ce qu'un pur grimpeur est capable de faire. Depuis Ineos, la stratégie a changé puisqu'ils investissent en masse dans le recrutement, notamment de jeunes coureurs à très grand potentiel (Ganna, Bernal, Pidcock, Martinez) voire déjà reconnus (Carapaz, Yates).
Mais chez Sky, tous ces coureurs n’étaient qu’une pièce de l’échiquier, la dame, le fou, le cavalier voire le pion qui protègent leur roi jusqu’au dernier kilomètre. Un modèle que la Jumbo-Visma a tenté de copier, en 2020, pour contrer l’armada Ineos. Sans le même succès pour le moment. Car le train Sky-Ineos, au-delà du plan bien établi, a très rarement failli. A l’exception de 2014, l’écurie britannique a toujours amené son leader à la victoire sur le Tour de France, de 2012 à 2019, soit 7 années sur 8. Pas de place pour les autres. Sous Ineos, la stratégie est un peu plus ouverte et le succès en GT, s‘il est toujours là, est moins écrasant.
Christopher Froome, dans la cour des très grands
C’est un duo emblématique du Team Sky. Liés à jamais par le palmarès, Bradley Wiggins et Christopher Froome le sont aussi par une image, marquante, qui a certainement choqué bon nombre de téléspectateurs. Wiggins, leader désigné et alors maillot jaune du Tour, est au bord de la rupture sur les pentes de la Toussuire, après que Froome, son fidèle lieutenant, a sévèrement accéléré en tête du groupe des favoris. Au point de larguer tout le monde, y compris Wiggins. Une scène formidable, véritable passage de témoin avant l’heure : visiblement le plus fort, le Kényan blanc rongea son frein et attendit son leader, très agacé par les velléités de rébellion de son second. Ce dernier reste finalement fidèle à Wiggins, suivant la stratégie d’équipe. Le futur Sir Bradley remporte le Tour de France, consacrant ainsi une transformation corporelle hors normes et validant l’entrée du Team Sky parmi les grands de la planète cycliste. Premier Britannique vainqueur à Paris, il sera anobli par la reine et restera à jamais l’emblème de l’équipe de Dave Brailsford.
Mais son dauphin d’alors, Chris Froome, fera nettement mieux : sa 2e place en 2012 n’est que le début d’une domination sans limite sur les Grands Tours. Il remporte la Grande Boucle l’année suivante, puis les 3 éditions de 2015 à 2017, ainsi que deux Vuelta et un Giro, en 2018. Ce dernier triomphe marque également un record, puisqu’il réussit un exploit rare : remporter les trois Grands Tours de rang (Tour 2017, Vuelta 2017 et donc Giro 2018). Seuls Eddy Merckx et Bernard Hinault avaient accompli une telle performance. Souvent critiqué pour son manque de charisme et sa domination froide, Froome est le reflet de l’image qu’avait le public du Team Sky : une machine à gagner, froide, qui ne s’enraille jamais. Au grand désespoir du suspense. Pourtant, difficile de le nier : le Team Sky-Ineos est la meilleure équipe du début du 21e siècle.
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