La trajectoire étrange qu’a prise la carrière de José Humberto Rujano mérite qu’on s’y attarde. Le meilleur coureur vénézuélien de l’Histoire a connu plusieurs vies cyclistes que l'on vous propose de découvrir.
L'histoire d'un pur grimpeur :
Au XXIe siècle, ils sont rares à pouvoir prétendre au titre suprême. On peut citer Joaquim Rodriguez bien sûr ou encore Miguel Angel Lopez. Et l’on peut aussi citer José Rujano, coureur ambivalent, aux multiples facettes, capable de passer de l’ombre à la lumière en un rien de temps.
En ces temps de Giro, revenons sur l’œuvre du coureur vénézuélien, en partie inachevée, mais restée dans les mémoires.
28 Mai 2005, avant-dernière étape du Giro arrivant à Sestrière. Une étape de légende se dessine lorsque Simoni sort dans le Finestre à 45 km de l’arrivée en compagnie de Rujano, pour tenter de renverser le Giro et le maillot rose de Savoldelli. L’opération échouera d’une poignée de secondes en haut de Sestrière, mais c’est bien le Vénézuélien, quasi-inconnu au départ de ce Giro, qui retient l’attention des suiveurs ce jour-là.
Ce petit bonhomme d’1m62 et 48 kg lâche Simoni (qui avait certes beaucoup roulé) dans les dernières pentes et s’adjuge l’étape reine de ce Giro en solitaire, se révélant ainsi définitivement et s’assurant une place sur le podium final du Giro. Rujano peut même nourrir des regrets puisqu’il échoue à 48 secondes du vainqueur alors qu’il a ralenti dans le final de l’étape et couru les CLM largement en-dedans. En fait, il s’était même présenté au départ dans un rôle d’électron libre et chasseur d’étapes, le leadership de l’équipe de Gianni Savio, Colombia – Selle Italia, étant confié à Ivan Parra. Il se consolera tout de même avec le maillot de meilleur grimpeur.
On ne peut pas vraiment dire que Rujano sortait de nulle part mais son explosion est tout de même assez soudaine et inattendue. Certes, il avait remporté la Vuelta al Tachira l’année précédente. Certes, il sortait d’un bon Tour du Trentin qu’il avait terminé à la 8e place. Mais personne n’aurait pu imaginer le voir à pareille fête. En quelques heures, Rujano était devenu le successeur de Pantani dans l’imaginaire collectif, le pur grimpeur qui allait éclabousser de sa classe l’ascension des cols dans les années futures. Une sorte de mini-révolution dans le monde du cyclisme, une tornade même.
Et une nouvelle fois, tout le monde se trompait. Car, il fallait bien l’admettre, José Rujano allait devenir un coureur difficilement lisible, capable du meilleur comme du pire (et en fait souvent du pire), brillant par son inconstance et son manque de professionnalisme. Après ce Giro brillant, il est tout naturellement l’objet de la convoitise des grosses écuries. Et c’est Quickstep qui l’arrache à Savio en cours d’année 2006 en vue du Tour de France. Mais rien ne va se passer comme prévu durant l’épreuve. Rujano apparait fatigué et complètement à côté de la plaque, méconnaissable. Lors de l’étape 10 arrivant au Pla-de-Beret, il termine au-delà de la 100e place à plus de 35 minutes du vainqueur, Menchov. Loin de se refaire la cerise dans les Alpes, il ne prend pas le départ de la 17e étape. Il semble que ce fût une période compliquée pour le Vénézuélien, loin de sa famille, avec qui il passait beaucoup de temps au téléphone la nuit.
Toutes ces expériences World Tour se sont soldées par des échecs. Suivront Unibet en 2007 et la Caisse d’Epargne en 2008. 3 années presque blanches, même si il y a un léger regain dans la formation espagnole, où il obtient quelques top 10 sur les routes du Giro avant de finir 6e du Tour d’Allemagne en fin de saison.
Ces longues périodes de doute ont suivi Rujano toute sa carrière. Il a toujours donné l’impression de ne pouvoir assumer une carrière de cycliste professionnel, avec tous les sacrifices que cela comporte. C’est sans doute pour cette raison qu’il se trouvait davantage épanoui chez Gianni Savio, qui lui permettait de passer une bonne partie de l’année sur ses terres. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui offre une ultime chance en 2011 en le resignant dans la formation devenue Androni Giocattoli. Après une très bonne 8e place sur le Tour du Trentin, Rujano va de nouveau voler sur les routes du Giro cette année-là. Il remporte deux étapes en haut de l’Etna (étape 9, après déclassement de Contador) et en Autriche au sommet du Grossglockner (étape 13), les deux fois à la pédale. Il termine également 3e du CLM en côte à Nevegal (étape 16). Après avoir été partout, il conclue ce Giro à une très probante 6e place finale, validant ainsi pleinement le pari de son manager.
Six ans après 2005, le grand José était de retour. Ses déclarations choc de l’an passé, où il affirmait « être parmi les 3 meilleurs grimpeurs du monde avec Contador et J. Rodriguez », prennent même de la consistance, alors même que plus grand monde ne croyait en son retour au plus haut niveau. En 2012, seule une monunucléose l’empêche de réaliser de nouveau un bon Giro, après un excellent début de saison.
Son ultime retour au niveau World Tour en 2013 chez Vacansoleil sera un nouvel échec. Il met même en lumière la part d’ombre de Rujano, toujours sujet à ses problèmes d’adaptation, et renforce son côté sombre et flirtant toujours avec les limites. Il est ainsi rattrapé par une affaire de dopage datant de 2009 où il est cité. L’équipe Vacansoleil, sur la base de forts soupçons (il n’y a donc pas eu de contrôle positif), décide de l’écarter de sa sélection pour le Giro 2013 ce qui signifie par ailleurs la fin de sa carrière en Europe.
La part d’ombre de Rujano : une réputation sulfureuse dans les pelotons
Difficile de ne pas évoquer les problèmes du Vénézuélien et sa réputation malgré tout. Son parcours ne plaide déjà pas en sa faveur avec des « trous » réguliers et de nombreuses dents de scie dans sa carrière (liées aussi à son mental probablement). En 2003, lors de sa première année pro, il est contrôlé positif lors du Clasico RCN, une course colombienne, et est disqualifié puis suspendu mais revient dès début 2004. Dix ans plus tard, en 2013, il est rattrapé par une affaire de dopage datant de 2009 où il est cité. L’équipe Vacansoleil, sur la base de forts soupçons (il n’y a donc pas eu de contrôle positif), décide de l’écarter de sa sélection pour le Giro 2013 ce qui signifie par ailleurs la fin de sa carrière en Europe.
Aussi mystérieux que talentueux, José Humberto Rujano avait la classe de la catégorie des purs grimpeurs. Malgré sa part d’ombre, il reste dans les mémoires des suiveurs pour avoir subitement éclos à la surprise générale lors du mois de mai 2005. Un grand talent d'une grande irrégularité.
Entre failles mentales et soupçons de dopage, José Rujano a su, malgré une carrière en dents de scie, se construire un joli palmarès, mais aussi une image marquante auprès de ses pairs et des suiveurs. Son amour du cyclisme n’était certainement pas à prouver, en
témoigne son retour sur le continent sud américain en 2014, où il courra jusqu’en 2021. Son style dans les cols restera inoubliable et Rujano laissera indéniablement une trace dans
l’Histoire du Giro.
Olivier @coureursoublies
Remerciement spécial : @orodrethh
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