Est-il plus difficile de trouver un sponsor en 2025 pour les équipes cyclistes ?
- Romain Bougourd
- il y a 2 jours
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Alors qu’Emmanuel Hubert n’est pas parvenu à remplacer ses deux sponsors titres, Arkea et B&B Hôtels, pour 2026, une question majeure se pose pour le cyclisme : est-il plus difficile de trouver un sponsor en 2025 que par le passé ? Alors que cette source représente 90% des revenus des équipes cyclistes, la question est décisive. Analyse.

Le couperet est tombé mercredi 15 octobre. Emmanuel Hubert, patron-fondateur de Pro Cycling Breizh, la structure de l’équipe Arkea-B&B Hôtels, a dû annoncer à ses employés, que l’équipe ne repartirait pas en 2026. Fin juin, ses deux co-sponsors lui avaient fait savoir qu’ils ne poursuivraient pas leur partenariat au-delà de 2025. Après un contre-la-montre de plusieurs mois, le Breton n’est pas parvenu à sauver son équipe, qu’il a fondée en 2005. Faute de financement, il doit fermer boutique, comme Jérôme Pineau trois ans plus tôt (B&B Hôtels KTM), et tant d’autres équipes cyclistes. Avec la fusion à venir entre Lotto et Intermarché-Wanty, on peut également s’inquiéter pour le Team TotalEnergies, qui perdra son sponsor titre fin 2026, et Alpecin-Deceuninck, qui cherche également à remplacer son second co-sponsor, qui se retire en fin d’année. L’heure n’est pas à la joie pour les patrons d’équipes cyclistes, qui ont toutes les peines du monde à trouver des partenaires majeurs. Pourtant, le modèle du cyclisme n’a pas changé et sa visibilité n’a jamais été aussi importante. Alors comment expliquer ces nombreux échecs ? Est-il plus difficile de trouver un sponsor en 2025 qu’en 2010 ?
L’inflation des budgets, principale cause des difficultés croissantes
La réponse est tout simplement oui, et nous allons expliquer pourquoi. D’abord, commençons par analyser un chiffre, celui du budget moyen d’une équipe World Tour. En 2017, il était de 18 M€. En 2025, il est de 32 M€. Une augmentation énorme. Sachant que 90% du budget d’une équipe World Tour provient du sponsoring, et notamment des 2 sponsors titres, le calcul est assez simple : en 2017, pour être co-sponsor d’une équipe WT correcte, il fallait dépenser entre 7 et 8 M€. En 2025, il faut débourser entre 13 et 15 M€, soit près du double. Une différence très importante qui a deux conséquences majeures :
Le nombre d’entreprises capables d’investir de tels montants se réduit considérablement
Le processus de validation d’investissements à ces montants est plus complexe
Pour le premier point, il est difficile à quantifier, mais force est de constater, en regardant les principaux sponsors des équipes World Tour, qu’on parle là d’entreprises réalisant plusieurs milliards de chiffre d’affaires. TotalEnergies (205 Mds€), Ineos (65 Mds$), Decathlon (16,2 Mds€), CMA CGM (53,3 Mds€), Lidl (132,1 Mds$), voire Visma (2,8 Mds€), sont tous des grands groupes avec des budgets marketing susceptibles d’investir plus de 10 M€ par an dans une équipe cycliste. Certes, il existe quelques exceptions (Bora, Quick-Step), mais elles se font de plus en plus rares. Et ces grands groupes multimilliardaires ne sont pas pléthore. Emmanuel Hubert ne dira pas le contraire, lui qui a tapé à la porte de toutes les entreprises du CAC 40.
Pour le second point, c’est plus simple à comprendre. Pour une entreprise comme TotalEnergies, tout investissement en-dessous des 10 M€ peut être validé rapidement par le département marketing et sponsoring et ne nécessite pas d’approbation par des niveaux hiérarchiques supérieurs. Cela rend le processus plus rapide et simple, puisque le nombre d’interlocuteurs et les délais de la prise de décision sont limités. Mais dès que l’on dépasse 10 M€, le montant doit être validé en Conseil d’Administration. Et là, ça se complique. Un CA rassemble des dizaines de personnes, regardantes sur les dépenses, et qui se réunissent à des moments précis de l’année. Le processus est donc nettement plus complexe, et rallongé. C’est d’ailleurs certainement pour cette raison que le Team TotalEnergies n’a jamais reçu de montants si élevés.
Un contexte politico-économique défavorable
Enfin, comme si les choses n’étaient pas assez compliquées comme ça, il faut ajouter un contexte politico-économique complexe. L’économie mondiale est pleine d’incertitudes, le contexte politique français inquiète tous les acteurs, qui ralentissent leurs investissements, et les tarifs douaniers de Donald Trump impactent même les plus grandes entreprises françaises (e.g., LVMH qui exporte une grande partie de son cognac et de ses sacs de luxe aux Etats-Unis). Compliqué, dans un contexte pareil, d’investir dans une équipe cycliste, même pour un grand groupe. Et pour le peu qui prennent cette décision, alors ils préfèrent avoir un certain contrôle ou pouvoir de décision sur la gestion de l’équipe. Dans ce cas, ils ne se contentent pas juste d’un contrat de sponsoring, mais reprennent généralement partie ou totalité des parts de la structure juridique de l’équipe, comme l’ont fait EF, Red Bull et plus récemment Decathlon.
Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, les équipes qui peinent à remplacer leurs sponsors titres sont les seules qui sont encore détenues par leur directeur fondateur (voir notre article dédié). Pour se permettre d’investir 10, 15 ou 20 M€ dans une équipe cycliste, il faut donc soit être un Etat (EAU, Bahreïn), soit un mécène (Sylvan Adams pour Israël Premier Tech, Zdenek Bakala pour Soudal Quick Step), soit un grand groupe qui prend les rênes de l’équipe. Autant de raisons qui font qu’il est plus difficile, pour une équipe cycliste, notamment du fond de tableau World Tour, de trouver un sponsor. C’est inquiétant, et on ne peut que croiser les doigts pour Jean-René Bernaudeau et les frères Roodhooft, en espérant qu’ils ne soient pas les Jérome Pineau et Emmanuel Hubert de 2026.