Dominique Serieys : "Decathlon CMA CGM prend une dimension totalement différente en 2026"!
- Romain Bougourd
- il y a 11 heures
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Directeur général de l’équipe savoyarde depuis juillet 2023, Dominique Serieys incarne le changement au sein de l’équipe qui a changé trois fois de nom sous sa direction (AG2R Citroën, Décathlon AG2R La Mondiale puis Décathlon CMA CGM en 2026). Pour Velofute, il est revenu sur les changements réalisés pour viser le top 5 mondial. Entretien exclusif.

Dominique Serieys et Decathlon CMA CGM visent le top 5 mondial en 2026 avec Kooij et Seixas !
Vous vous êtes arrivé à l'été 2023, il me semble. A l'époque, l'équipe était 18e au classement UCI avec un budget de 23 M€. Vous bouclez maintenant le cycle UCI à la 8e place, et vous venez de clore un partenariat avec CMA-CGM pour avoir un budget de 40 M€. Comment est-ce qu'on fait, en deux ans et demi, pour passer de la 18e à la 8e place ?
Je pense qu'on a beaucoup travaillé. Effectivement, j'ai rejoint de façon officielle l'équipe à l'été 2023. La feuille de route était assez claire : structuration, professionnalisation, construction et ambition. En devenant propriétaire de l'équipe, AG2R La Mondiale a apporté une garantie et un crédit qui n'est pas comparable à ce qu'une personne morale peut avoir. De ce fait, le premier tournant est la signature du contrat avec Van Rysel avec des volontés communes de prise de notoriété, de matériel compétitif, et de positionnement d'une marque qui était forte et chère à Decathlon. Dans la foulée, la signature, début septembre, d'un contrat avec Decathlon de 5 ans qui apporte ce dont l'équipe avait besoin, ajouté au partenariat technico-financier de Van Rysel, et la continuité d'AG2R La Mondiale.
Donc là, si vous voulez, la consolidation des fondations de l'équipe prend une dimension totalement différente. Ensuite, revoir l’ambition. Si on participe à une compétition, c'est pour gagner. Et cette alchimie a généré les résultats que vous connaissez en 2024, avec une trentaine de victoires et une 6e place UCI. Donc, on a essayé, de façon humble, de consolider la première année de construction sur l'année 2025 avec le nombre de victoires qui sont au nombre de 26, un top 5 au Tour de France ou un top 8 à la Vuelta, et aussi une évolution structurelle où on a commencé à tourner l'équipe sur une orientation internationale. C'était important aujourd'hui pour les partenaires.
Et pour continuer dans la décision qui était dessinée que AG2R allait arrêter son partenariat historique après plus de 30 années, fin 2025, il fallait réfléchir à comment faire évoluer la valorisation de l'équipe, pour avoir des moyens supplémentaires et venir dans le top 5 du classement UCI. De fortes études ont été menées avec l'analyse de la valorisation propre de l'équipe, qui nous ont orientés sur le fait qu'elle n'avait pas la même valeur que dans les années 2020-2023. Ça m'a permis aussi de présenter un plan stratégique auprès de Decathlon pour qu'il soit convaincu d'acquérir l'équipe. Decathlon a bien compris l'intérêt de passer du statut de client-fournisseur à celui de propriétaire, aussi en apportant une vraie pérennité, pour que cette équipe qui maintenant s'appelle Decathlon Cycling Team soit attachée à 100% à son actionnaire qui est aussi le co-namer majeur.
Et après, on a travaillé sur différentes options de marques pour nous rejoindre, et est apparu dans les différentes recherches qu'on a menées et options qu'on avait sur la table, l'aboutissement d'un contrat avec CMA-CGM, tout à fait aussi important et pas que symbolique, parce que les valeurs d'entreprise, les valeurs d'entreprenariat, les valeurs familiales des deux entités se rejoignent aussi.
"C’est une utopie de faire croire qu'avec la même structuration qu’il y a 20 ou 30 ans, vous allez pouvoir rivaliser avec les grosses équipes structurées, que ce soit UAE, Visma, Red Bull, Lidl Trek ou les autres, qui aujourd'hui fonctionnent comme une vraie entreprise, avec des process"
Vous avez dit que votre feuille de route était claire, vous avez cité quatre mots structurants, et notamment ‘professionnalisation’. L’équipe en manquait-elle tant que ça ?
L'hyper-professionnalisation des sports en général contraint aujourd'hui à ce qu'une équipe ne peut pas fonctionner avec 100 ou 120 collaborateurs comme vous pourriez fonctionner avec 20 ou 30 collaborateurs. Parce que vous avez besoin de mettre en place différentes strates de pilotage ou de direction. Vous avez besoin d'avoir une vraie direction générale, une direction financière, administrative, ressource humaine, contrôleur de gestion budgétaire, vous avez besoin d'avoir une vraie direction logistique, parce qu'on se déplace plus de 260 jours par an, une direction opérationnelle, une gestion bâtimentaire qui corresponde aux besoins que l'équipe a en termes d'ateliers, en termes de magasins, en termes de gestion garages et véhicules. Et vous avez aussi besoin de structurer un pôle sport, qui est aujourd'hui prioritaire.
Donc la réflexion a été de créer l'académie, qu’on appelle la New Gen, qui génère la détection de jeunes talents au niveau cadet ou junior. On a une équipe junior U19 avec une douzaine de coureurs, après une équipe continentale, la catégorie U23, qui permettent aussi de détecter, de former et de pouvoir bénéficier, de deux ou trois coureurs par an. Tous ces éléments ont généré le fait que vous avez besoin de process et d'outils pour gérer une entreprise comme celle-là. C'est toujours un peu un rouleau compresseur, tout en continuant à courir. Les choses se sont mises en place, on s'est donné les moyens. Les années 2022-23, j'ai besoin de le dire aussi, AG2R a investi beaucoup d'argent pour apporter ces analyses et ces audits.
Parce qu'avant, il n'y avait rien de tout ça ?
Mais non, parce qu'en fait c'était un artisan qui a été hyper émérite [Vincent Lavenu, ndlr], mais ça ne pouvait pas fonctionner comme ça doit fonctionner aujourd'hui. Parce que c’est une utopie de faire croire qu'avec la même structuration qu’il y a 20 ou 30 ans, vous allez pouvoir rivaliser avec les grosses équipes structurées, que ce soit UAE, Visma, Red Bull, Lidl Trek ou les autres, qui aujourd'hui fonctionnent comme une vraie entreprise, avec des process. Il ne faut pas oublier la partie des valeurs humaines, mais c'est une vraie gestion d'entreprise.
Maintenant que tous ces éléments sont en place, vous allez bénéficier d’un budget augmenté de 10 M€ en 2026 par rapport à 2025. Comment allez-vous les investir ?
Ce qui a permis de passer une étape supplémentaire, c'est la priorisation sur les besoins humains. Ils sont prioritaires sur les coureurs, et il y a une inflation sur leur valeur. Et aussi, pour donner tous les moyens nécessaires et les meilleures conditions, vous devez recruter de l'encadrement qui correspond à cette partie internationale de coureurs, donc des directeurs sportifs internationaux, des entraîneurs coachs internationaux, des spécialistes liés à la nutrition, liés à la data, renforcer aussi le pôle médical. On a aussi renforcé depuis l'année dernière le recrutement de médecins en chef. On vient de recruter un deuxième médecin salarié qui sera le médecin adjoint, pour aussi gérer les jeunes coureurs. On a vraiment dédié la partie supplémentaire des revenus sur cette organisation.
L'autre point, c'est le mercato. Vous avez effectué un sacré turnover, avec 11 départs pour 9 arrivées, soit 30% de l’effectif. Comment est-ce que vous gérez ça, en termes d'ambiance de groupe, de cohésion, un tel changement ?
Tout d'abord, c'est dans les équipes cyclistes, on peut se retrouver régulièrement avec entre 20 et 30 % de turnover. La première analyse de satisfaction, c'est que sur les 11 coureurs qui n'ont pas été renouvelés, il y en a 10 qui ont trouvé une nouvelle équipe, et majoritairement aussi dans de très bonnes équipes à l'étranger. Ça nous consolide bien notre approche, que nos coureurs étaient des coureurs de qualité, d'une part.
On a des coureurs, sur les 11, qui ont décidé eux-mêmes de ne pas continuer à vélo, parce que leur projet sportif était sans doute avec volontés différentes. Et qu'aussi, il y a eu l'impression qu'on a trop peu donné sur la priorisation liée au sprint et aux classiques. Donc on a recruté Olav Kooij, et différents coureurs, comme Daan Hoole, et aussi sur la partie classiques avec Tiesj Benoot, sans occulter le double projet sprint avec Tobias Lund Andresen, et la partie grimpeur, avec Matthew Ricitello, qui a fait récemment 5e de la Vuelta.
Donc on a consolidé cette partie-là. On n'a pas recruté 30 coureurs, on s'est arrêté à 28, parce qu'on a incorporé un deuxième coureur de la Conti avec Antoine L’Hote. Donc ça s'est relativement bien géré à mon sens.
"2026 sera une année de consolidation où Paul Seixas doit gagner et où on doit être précautionneux de l'évolution de ses performances et de sa santé"
Dans tous ces départs, il y a 8 Français. Est-ce que ça ne vous fait pas peur, la perte française, ou est-ce une recherche volontaire de votre part ?
Nous avons vu que nos partenaires majeurs titres, que ce soit Décathlon ou CMA-CGM, sont présents tout autour du monde, dans plus de 70 pays. Aujourd'hui, même si on est Français, et qu'on est une équipe française, on se veut d'être aussi une équipe internationale. Parce que pour les besoins aux États-Unis, on se doit d'avoir des coureurs américains. On se doit d'avoir des coureurs multinationalités, sur lesquels les partenaires tirent une vraie exploitation, marketing et commerciale.
Est-ce que vous pensez que c'est aussi, finalement, une solution sine qua non, aujourd'hui, pour prétendre un budget à 40 millions d'euros et séduire des multinationales ?
Dans mes expériences passées, j’ai toujours dit qu’un champion n’a pas de nationalité. Le champion de F1, on parle de Lando Norris, pas d’un champion britannique. Donc, après, c'est l'exploitation que les marques peuvent en faire comme McLaren. Aujourd’hui, nous sommes français, mais notre secteur ne se limite pas à l'hexagone. L'internationalisation, la mondialisation des marchés sont des facteurs de besoin, et il faut s’adapter.
Vous avez quand même de la chance, parce que vous avez celui que tout le monde décrit comme le prochain vainqueur français du Tour de France avec Paul Seixas. Est-ce bien dans votre plan stratégique que Paul Seixas remporte le Tour de France et est-ce qu'il le fera cette année ?
Le projet avec Paul, c'est un projet qui date de quelques années avec une planification, des moyens apportés et avec une précaution pour ne pas griller les étapes. L'année qui vient de s'écouler est satisfaisante, et il a démontré les capacités en faisant de très belles performances. 2026 sera une année de consolidation où Paul doit gagner et où on doit être précautionneux de l'évolution de ses performances et de sa santé. Donc, il y a un programme qui est prévu aujourd'hui jusque Liège-Bastogne-Liège.
Après, on fera une analyse complète de son état de santé, de ses performances, des options de son calendrier, et après, surtout, de la récupération qu'il va avoir et de la préparation qui va être mise en place.
Avec ce programme, et avec un Félix Gall qui sera sur le Giro, le Tour est une option sur la table n’est-ce pas ?
Honnêtement, ça peut être une des options, mais ça peut s'orienter sur la Vuelta ou pas de Grand Tour du tout. Tout est possible et on avisera fin avril.

Votre recrue phare est Olav Kooij, qui est un top sprinter, sûrement top 3 ou top 4 mondial sur cette spécialité, et votre équipe, elle n'a pas l'ADN sprint. Comment appréhendez-vous cette arrivée et la combinaison avec le général des Grands Tours ?
L'équipe a eu quand même une période dans les années 2000, avec un grand sprinteur, Jaan Kirsipuu. Après, la priorité était sur d’autres profils, comme Romain Bardet, mais pas de sprinteur. Quand on a commencé, en 2023, avec la demande de Van Rysel et de Decathlon, d'explorer le domaine sprint, et dans le recrutement qu'on a pu faire avec Sam Bennett, effectivement, moi, je me suis rendu compte très rapidement que d'une part la culture, mais d'autre part l'environnement avait évolué et que l'équipe ne l'avait pas identifié. Donc, quand on a travaillé sur le projet avec Olav, on a bien privilégié autour de lui une quantité de coureurs anglo-saxons, pour son lead-out, qui permet d'avoir un encadrement favorable. Donc, l'approche, la construction n'est pas du tout la même.





