Du rêve au cauchemar, c’est ainsi que Jérôme Pineau, manager de la formation bretonne B&B Hôtels KTM a passé ses derniers mois. De l’ambition d’un budget à 15 millions d’euros au probable dépôt de bilan, le projet ambitieux a capoté, à cause de deux erreurs majeures. Décryptage.
Alors que le cyclisme se professionnalise de plus en plus et que les budgets des top teams sont en hausse, de tristes événements finissent toujours par nous rappeler la précarité de ce sport. Loin des revenus de billetteries et de droits TV, les équipes cyclistes se contentent du financement de leurs sponsors pour exister. Des sponsors qu’il est parfois difficile de convaincre d’aligner les millions lorsque l’on ne possède pas un Pogacar, Van der Poel ou Van Aert dans ses rangs. Monter une structure est une tâche ardue, et la chute de B&B Hotels KTM, survenue hier, l’a encore rappelée.
La formation bretonne, créée en 2018, n’a effectivement pas réussi à boucler un budget suffisant pour le Pro Tour ni pour le Continental Pro, et le manager Jérôme Pineau a finalement annoncé à ses hommes, vendredi 2 décembre, qu’ils étaient libres de s’engager où ils le voulaient. Ici, on ne cherchera pas à relater les faits, à donner de nouveaux témoignages ou à résumer ce feuilleton tristement haletant. Nos confrères du Télégramme, de Ouest-France, de L’Equipe, d’Eurosport et de Vélo Club.Net l’ont parfaitement couvert, on vous invite d’ailleurs à lire leurs articles. Ce que l’on propose ici, c’est d’analyser ce qui, selon nous, constituent les deux erreurs majeures de Jérôme Pineau dans ce dossier, qui ont certainement conduit à cette situation cauchemardesque. Bien entendu, nous n’étions pas au cœur de l’action, mais les faits relatés et le recul pris sur les événements nous amènent à cette conclusion.
Didier Quillot, le mauvais marabout
Pineau a construit son équipe, seul, pour en faire une formation invitée depuis 3 ans sur le Tour de France et les grandes courses ASO. Cela peut paraître évident, mais c’est déjà un bel accomplissement. Ambitieux, il a voulu passer la seconde et viser le World Tour rapidement. Augmenter le budget, via de nouveaux sponsors majeurs, était une condition sine qua non. Sauf que pour rencontrer des entreprises d’un plus gros calibre, Pineau s’est rapproché de Didier Quillot. Celui-là même responsable du plus gros fiasco commercial du sport français des dix dernières années avec l’épisode Médiapro, qui a plongé les clubs de football au bord du gouffre financier. Si l’ancien président de la LFP ne manque certainement pas de compétences, on peut remettre en doute celle qui consiste à conclure des deals durables, sains et prospères. Celui avec Mediapro ne l’était pas, et celui que Pineau pensait conclure avec Sephora, enseigne française de cosmétiques, filiale de LVMH émargeant à près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, ne l’a pas été non plus. Pineau louait le carnet d’adresse de Quillot, mais on ne peut pas dire que cela ait suffi à concrétiser quoique ce soit. Finalement, on a tous connu l’expérience d’un deal quasi bouclé qui n’a finalement rien donné. Sauf qu’en dissolvant son Conseil d’Administration et en coupant les liens avec la région Bretagne, Pineau a engagé un processus qui ne laissait pas de place à l’erreur, ou à la machine arrière.
Une perte d’identité fatale
Et c’est là la deuxième erreur majeure selon nous. En investissant dans le cyclisme, les marques sont à la recherche à la fois d’une vitrine publicitaire, et aussi d’une amélioration de leur image. S’associer au cyclisme, c’est se créer une identité, une histoire et envoyer un certain message. La création d’une identité d’équipe est alors clé pour attirer des sponsors, désireux de soigner leurs partenariats. En créant une identité bretonne, avec une marque visuelle ainsi qu’une communication et un marketing originaux, articulés autour du slogan « Men in Glaz », Jérôme Pineau était parvenu à se différencier, à raconter une histoire. Et malheureusement, son ambition lui a fait oublier cette histoire, en s’adossant à la ville de Paris tout en affirmant rester breton. Voyez plutôt : « le siège de la future équipe sera à Paris et l’académie basée en Bretagne. […] Pour l’Académie de jeunes, on va travailler en Bretagne, mais aussi sur le bassin parisien », déclarait-il en juillet. Bref, une identité floue, comme le projet basé sur un partenariat de naming conclu avec la ville de Paris, sans que cette dernière ne verse un seul euro. Intéressant, mais bancal et c’est finalement ce point qui restera du feuilleton : le projet avait des allures de bonnes idées, mais ne présentait aucune certitude financière.
A force de rechercher plus beau et plus grand, Pineau a fini par faire fuir ses partenaires historiques. Une bien triste fin pour lui. Evidemment, il serait prétentieux de dire que nous aurions fait mieux que lui. La conjoncture économique et la concurrence laissent peu de place aux erreurs. Espérons simplement que les coureurs et membres du staff retrouveront un point de chute, et que le manager breton ressortira plus fort et grandi de cet épisode cauchemardesque.
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