Véritable vétéran du peloton et légende du cyclisme, l’Espagnol reste un homme humble et fidèle, aux plaisirs simples.
Qui suit Alejandro Valverde sait à quel point la longévité de ce champion est exceptionnelle. Le sentiment d’immuabilité qu’il incarne, et sa régularité et fiabilité année après année, sont comme un pied de nez à son époque, à son accélération incessante et ses buzz éphémères. Sa façon de s’inscrire dans le temps long – sa carrière professionnelle s’étendra en fin de compte sur les trois premières décennies du XXIe siècle, lui qui sera encore dans le peloton en 2021 - revêt un aspect presque désuet, vintage, tout autant que sa présence et polyvalence du début à la fin de chaque saison, sortes de réminiscences du cyclisme d’antan – autant de traits devenus rares qui font son charme et entretiennent le respect tout particulier que lui accorde le milieu cycliste dans son ensemble.
Pour un sportif de sa stature, Alejandro Valverde entretient donc un rapport au temps tout particulier et, répétons-le, exceptionnel.
Ce qui est peut-être moins connu, ou plutôt moins perçu, est son rapport à l’espace. Il relève pourtant lui aussi presque tout autant de l’exception.
Dans son riche essai « Chez soi » (2015), qui a connu un regain d’intérêt durant le confinement, la journaliste Mona Chollet fait l’éloge de l’espace domestique, en passant en revue toutes ses dimensions : humaines, politiques, sociales...Elle y parle du bien-être qu’elle éprouve à domicile, malgré l’injonction qu’elle ressent à sortir de sa zone de confort.
A première vue, Alejandro n’est pas vraiment un casanier : difficile d’employer ce mot pour quelqu’un qui passe autant de temps hors de chez lui, sur les routes, tout au long de l’année, saison après saison.
Pourtant son rapport au « chez soi » est bel et bien peu commun pour un champion de son envergure.
On ne compte plus les « stars » du sport ayant choisi de se déraciner pour déménager en Andorre, à Monaco, ou dans d’autres lieux qui donnent parfois l’impression de s’apparenter à des ghettos de stars. Alejandro n’a jamais quitté Murcie. Peut-être en partira-t-il un jour, mais personne ne serait étonné qu’il y reste toute sa vie. C’est simple : il s’y sent bien. Pourquoi aller voir ailleurs ? Cette simplicité est une sagesse. Lui qui vient d’un milieu assez modeste et qui a décroché des contrats à sept chiffres dès sa vingtaine a toujours gardé les pieds sur terre – sur sa terre. Il a choisi de rester dans la ville de son enfance, dans la ville de ses parents, dans la ville où il a construit sa famille, dans la ville où il s’entraîne depuis toujours. Et lorsqu’il a besoin d’altitude, il se rend en Sierra Nevada, comme presque chaque année avant le Tour – c’est le cas en ce moment.
Il n’a rien d’un moine, et ne cache ainsi pas son péché mignon que sont ses luxueuses voitures de sport, qu’il a commencé à s’offrir dès les débuts de sa grande réussite. Mais les nombreux témoignages de ceux qui le côtoient montrent qu’il n’a rien d’un frimeur. Il aime - il adore ! - la compétition mais n’est pas là pour écraser les autres en dehors du vélo. C’est un épicurien raisonnable, qui ne s’interdit pas, par exemple, de consommer une petite mousse avec ses coéquipiers, qui n’est pas dans l’ascèse ou le millimétrisme scientifique revendiquée par d’autres. Le secret de sa réussite tient aussi à cela, à cet équilibre entre grand professionnalisme et plaisirs simples sur lesquels il ne rogne pas pour espérer gagner hypothétiquement quelques micro-secondes.
Les plaisirs qu’il s’offre sont souvent liés à ses proches, et partagés avec eux. Se mettre en scène sur les réseaux sociaux ne l’a jamais intéressé et lorsqu’il s’est finalement inscrit sur ceux-ci, c’est tard dans sa carrière, en postant avec parcimonie, et pas franchement pour la frime ou l’ego. Il reste assez détaché de cet espace virtuel, préférant l’espace réel et surtout intime, avec les siens, que ce soit sa famille ou ses coéquipiers de la Movistar, équipe à laquelle il reste attaché depuis quinze ans, dans laquelle il finira sa carrière de coureur et dans laquelle il entamera aussitôt sa nouvelle vie ensuite, en tant qu’ambassadeur, a minima…
Cette équipe Movistar, c’est son deuxième « chez soi », son domicile professionnel, son cocon dont il est le leader naturel - en ce sens, on peut considérer ici qu’il est casanier, ce trait dont fait l’éloge Mona Chollet. Il n’est pas un homme qui cherche à casser les codes, à se réinventer, à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs : il est un homme du temps long, qui accorde sa confiance pour de bon et reste attaché à ceux avec qui il a tissé des liens humains, au-delà des calculs purement sportifs ou financiers.
Alejandro Valverde incarne des valeurs, une certaine façon de vivre son succès avec simplicité et authenticité. « C’est notre manière d’habiter l’espace qui est en jeu » martèle l’astrophysicien Aurélien Barrau, engagé sur les questions écologiques. Il ne parle pas là des planètes et des étoiles, mais de l’espace du quotidien, de la terre sur laquelle on vit, qu’il appelle à respecter. Il y a plus de quinze ans, Valverde est devenu une star, mais à aucun moment il n’a, depuis, donné l’impression de devenir hors sol, de perdre le sens des réalités, de se complaire dans une stratosphère détachée du reste de la cité. Il n’est pas interdit d’être admiratif de ce champion, aussi, pour ces particularités-là.
Ecrit par Clément J. , du Blog Valverde
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