Cédric Vasseur (Cofidis) : « Sur 3 ans, on est à la place qu'on mérite au classement UCI »
- Romain Bougourd
- il y a 15 heures
- 10 min de lecture
Alors que Cofidis est au bord de la relégation et se bat pour son maintien en World Tour, son directeur Cédric Vasseur a pris le temps de s’exprimer à notre micro. Recrutement 2025, situation actuelle, choix de calendrier, approche du Tour et sécurité : il n’a évité aucun sujet. Entretien fleuve avec le Nordiste.

Lors de notre dernier entretien en septembre 2023, Cofidis venait de gagner deux étapes sur le Tour de France et était 10e au classement UCI. Aujourd’hui, vous êtes virtuellement relégable. Comment vous vivez ce retournement ?
C'est vrai qu'on est en situation inconfortable. Maintenant, qu'on soit 19e avec 150 points de retard ou 18e avec 150 points d'avance, c'est pareil. Ce que je déplore aujourd'hui, c'est cette stigmatisation du classement UCI qui détourne tout le monde de l'intérêt général. On ne fait pas du vélo pour mettre des points UCI, on fait du vélo pour avoir des émotions, aller dans des échappées, essayer de briller. C'est vrai que ces dernières semaines, ça a été un peu compliqué pour nous.
On a fait un beau début de saison, je n'ai pas eu beaucoup de coups de téléphone quand ça marchait bien. Je pense qu'il y a des équipes qui ont peut-être désormais perdu le match pour le World Tour, donc on préfère se cantonner sur le match Astana-Cofidis. Le cyclisme aujourd'hui, ce n'est pas un match Astana-Cofidis. Le cyclisme, ce sont 23 équipes qui vont aller s'affronter sur le Tour de France. Ça va être difficile parce qu'on voit que le niveau est extrêmement élevé. Personne ne met en avant le fait que les performances sont toutes supérieures à ce qu'on a pu connaître par le passé. Peut-être que Cofidis n'a pas réussi à élever son niveau, comme certaines autres équipes ont su le faire. Mais je défends le bilan de l'équipe parce qu'on fait une bonne saison. On est 16e à l’UCI sur l’année, il n'y a pas de honte à être 16e équipe sur l'année.
Aujourd'hui, quand on parle de classement 23-25, on fait juste une mauvaise année 2024. Le bilan de 2025, je refuse qu'on dise qu'il est mauvais, c'est faux. On a 6 victoires, on a joué avec les meilleurs sur le Tour du Pays basque. Alex Aramburu faisait partie des 3 meilleurs coureurs du circuit. Je pense qu'il ne faut pas tout jeter aujourd'hui, il faut simplement nous laisser travailler tranquillement, attendre les courses du mois de juin, attendre le verdict du Tour de France, et on fera un bilan après le Tour de France.
>>> Retrouvez le classement UCI 2023-2025 en cliquant ici
Effectivement, le début de saison était bon. Vous étiez d’ailleurs 12e assez longtemps. Pour autant, si la saison s’arrêtait aujourd’hui, vous seriez relégué. Comment est-ce que vous vivez avec ça ?
Moi, le discours que j'ai, c'est qu'on est à mi-saison quasiment. On a fait 50% des courses et il nous reste 50%. On ne peut pas tirer un bilan à mi-saison. Qui, en début de saison, aurait imaginé un seul instant qu'Astana allait reprendre 4300 points à des équipes comme Cofidis ou Picnic ? Personne. Je pense que ce qu'Astana a fait, il y a d'autres équipes qui sont peut-être capables de le faire sur la deuxième partie de saison. Pas forcément dans ces proportions-là, mais de manière importante.
Je ne me dis pas aujourd'hui « si la saison s'arrêtait aujourd'hui ». Je ne me disais pas ça non plus au mois de mars. Je sais que la saison va s'arrêter le 19 octobre, c'est la dernière course. Je me dirais simplement que le 19 octobre, la saison est terminée. Voilà notre classement. De toute façon, il ne faut pas se cacher derrière quoi que ce soit. Sur trois ans, on est à la place qu'on mérite. Je pense qu'il ne faut pas se cacher. À un moment donné, il y a des compétitions, il y a des résultats. On fait des beaux résultats. On a connu aussi beaucoup de malchance depuis le début de saison avec des coureurs qui ont été blessés. Par exemple, Simon Carr qui n'a pas encore mis un dossard cette année. Ça fait partie du jeu. Ça peut arriver à Cofidis, ça peut arriver demain à d'autres équipes. Je ne leur souhaite pas, mais c'est le cyclisme moderne.
On voit qu'il y a beaucoup de chutes. Il y a trop de chutes dans le cyclisme d'aujourd'hui.
Et ces chutes, forcément, pénalisent les équipes victimes. Nous, par exemple, sur Brugge-De Panne, on a perdu trois coureurs avec Piet Allegaert, Milan Fretin et Damien Touzé qui sont quand même des coureurs hyper importants quand on parle de classement UCI. On est victime de la situation.
Et dans un cas comme ça, à part être un magicien, on ne peut pas trouver la solution. Aujourd'hui, j'espère simplement que mes coureurs n'aient pas de malchance d'ici la fin de saison. Qu'ils puissent être à 100% de leurs moyens physiques. Et avec l'effectif qu'on a, avec les recrutements qui ont été faits à l'intersaison, les choses vont se passer comme elles doivent se passer. En allant rechercher un Buchmann, un Aramburu, un Simon Carr, on a fait, le maximum de ce qu'on pouvait faire pour garder notre place dans l'élite. À un moment donné, je pense qu'il n'y a pas de honte à échouer quand on a tout fait pour réussir.
"Je veux garder la confiance en mes coureurs jusqu'à la fin de saison parce qu'ils sont sensibilisés sur la situation."
Effectivement, votre mercato était très prometteur, pourtant, après 6 mois, le bilan n’est pas très positif d’un point de vue comptable : 704 points pour Aranburu qui est la seule satisfaction, mais 166 pour Dylan Teuns, 99 pour Emanuel Buchmann, 0 pour Simon Carr… Comment l’expliquez-vous ?
Aujourd'hui, je ne dirais pas que c'est un échec parce que ça peut vraiment changer très vite. Moi, je ne dirais qu'en fin de saison si ce recrutement-là a été un échec ou pas, mais pas avant. Je veux garder la confiance en mes coureurs jusqu'à la fin de saison parce qu'ils sont sensibilisés sur la situation. Ils en sont aussi conscients et ce sont les premiers malheureux d'une saison, pour l'instant, pour certains, en mi-teinte. Et je peux vous assurer qu'ils ont tout mis en œuvre pour renverser la situation et retrouver des couleurs. N'oublions pas que le mois d'août, le mois de septembre, ce sont des mois où on ne peut pas se reposer. Une équipe qui ne sera pas performante au mois d'août ni au mois de septembre, elle peut perdre 3 000 points facilement.

Donc je reste sur ma position en disant que c'est loin d'être perdu. Astana en est le témoin le plus flagrant, ce qu'ils ont fait depuis le début de saison, je ne sais pas s'ils pourront garder ce niveau-là de rythme de compétition aussi. C'est quand même assez impressionnant. Chapeau à eux, mais ça doit inciter toutes les équipes à se battre au moins jusqu'à la dernière course. C'est ce que Cofidis va faire. C'est comme un match de boxe, il faut se battre jusqu'à la fin. Et à un moment donné, on ne peut pas faire plus. Si nos adversaires sont beaucoup plus performants que nous, ça veut dire qu'ils méritent plus que nous d'être en première division.
Est-ce qu'avec le recul, aujourd’hui, il y a des choses, que ce soit des choix de calendrier, de la stratégie, de la tactique, que vous auriez peut-être pu faire autrement ou faire mieux ?
Pas du tout, car en tant qu'équipe française, on n'a pas tant de possibilités que ça, au niveau du calendrier, parce qu'on a des accords tacites avec les organisateurs français. On doit participer à l'étoile de Bessèges, malheureusement, participer à des courses 2.1, ce n'est pas forcément la meilleure solution pour engranger des points. Il vaut peut-être mieux aller faire des Pro Series hors Europe, on le sait, mais à un moment donné, on ne peut pas tout faire, d’autant qu’on est limité en jours de course autorisés par coureurs (85). Donc aujourd'hui, j'estime qu'on a fait ce qu'il fallait faire, la seule chose, c'est qu'on n'a pas été peut-être suffisamment performants sur certains fronts, là où on aurait dû être un petit peu plus...
Lesquels par exemples ?
Je pense que quand on regarde sur les Flandriennes, on s'attendait à mieux. Je pense que nos leaders qui n'ont pas été à 100% de leurs moyens sur les Flandriennes. Sur les courses du mois de mai, si on regarde les courses en Bretagne, niveau Coupe de France, ou les 4 jours de Dunkerque, on aurait pu évidemment faire un peu mieux. Depuis la Mayenne, on a quand même senti un sursaut de la part de l'équipe sur le point de vue du comportement. Là, c'est pareil, Benjamin Thomas sort du groupe sur la deuxième ou troisième étape, ça se joue à 20 mètres près, au lieu de faire troisième, il fait cinquième, donc il n'a pas de bonif et sort du top 5 au général.
Mais ça ne se joue à rien, notre potentiel est présent. Idem à Cassel, Sam Maisonneuve va gagner l'étape, il est maillot rose le matin de la dernière étape, et bien non, il se fait bouffer à 50 mètres de l'arrivée de l'étape reine des 4 jours de Dunkerque. Tout ça, ça s'est joué à rien du tout, et pour l'instant, la pièce tombe souvent du mauvais côté. Mais ça ne peut pas durer éternellement, parce qu'on a des coureurs de qualité, on a l'envie de bien faire, et à un moment donné, dans le cyclisme, ça doit forcément sourire, et moi je reste vraiment convaincu que ça va sourire.
>>> Retrouvez le parcours du Tour de France en cliquant ici
On approche du Tour de France. Au-delà du prestige, il y a aussi l'aspect points : une étape c'est 210 points pour le vainqueur, 150 et 110 pour le podium, donc c'est plus qu'une victoire sur une classe 1. Quelle stratégie vous allez adopter ? Est-ce que vous allez rester sur une stratégie ‘tout pour la gagne’, ou est-ce que vous allez essayer de placer un maximum de coureurs dans les points ?
Le mieux est de viser la victoire. Il ne faut pas rêver, sur le Tour de France, il y a très peu d'équipes qui sont capables de faire 2ème, 5ème et 7ème à chaque fois. On les connaît, ces équipes-là, elles ne luttent pas pour le maintien en UCI World Tour. Notre premier objectif, c'est quand même d'aller gagner une ou plusieurs étapes comme on a fait en 2023, et rien que le fait de gagner des étapes, ça nous amène des points. On n'a pas un effectif aujourd'hui capable de mettre 3 coureurs dans le top 10 de chaque étape. Ça peut être envisageable sur certaines courses où on arrive au sprint, et peut-être qu'en fin de saison on le fera. Vous l'avez vu au Tour du Limbourg, on avait Aniolkowski et Fretin. Evidemment que si on joue les points, on ne demande jamais à Aniolkowski de donner son vélo à Fretin. En tout cas, nous, ce qui nous a intéressés c'est d'aller jouer la gagne, et on sait que ce qui ramène le plus de points, c'est d'abord la gagne.
"Le système n'est pas à l'avantage des équipes mais ça fonctionne comme ça depuis 30 ans et une équipe qui disparaît a toujours une équipe pour la remplacer."
On a abordé le sujet de la sécurité, et il semblerait quand même qu'il y ait une corrélation assez évidente entre ce système de points UCI et l'augmentation du nombre de chutes, de la tension dans le peloton, etc. Quel est votre point de vue là-dessus ?
Je pense que les chutes s'expliquent en grande partie par la vitesse qui est de plus en plus élevée. Sur le Giro, par exemple, ça roulait à plus de 50 de moyenne les deux premières heures pour aller dans l'échappée. Et on est sur un terrain de jeu où on fait tout aujourd'hui, dans n'importe quel pays, pour faire ralentir les gens et les faire rouler à 30 km heure. Donc, on ne peut pas éviter les chutes.
Après, c'est vrai que la nécessité d'aller chercher des résultats, ça augmente l'agressivité et la motivation. Mais pour éviter un système comme celui-là, il faut réformer complètement le système du cyclisme. Là, c'est du tout au rien, en fait. Et donc, évidemment, l'enjeu est important, l'enjeu sportif, l'enjeu financier, ça concerne les coureurs, ça concerne les partenaires, ça concerne tout le monde. Donc aujourd'hui, je ne peux pas nier le lien entre la dangerosité des courses et les enjeux de points UCI. Mais d'un autre côté, on est dans le sport professionnel et on n'est pas l'école des fans. On ne peut pas dire au début, peu importe le résultat, tout le monde a gagné. Non, ça ne marche pas comme ça.
Il y a deux ans, vous aviez expliquer que face à l’arrivée de nouveaux acteurs (Etats, fonds d’investissements) qui reprennent les équipes, vous pensiez que vous n’alliez pas réussir avec Cofidis seul. Où en êtes-vous dans cette réflexion ?
Oui, Cofidis fait les efforts maximum. Mais à un moment donné, c'est difficile pour un sponsor privé français de lutter contre un état comme les Emirats. Et ce n'est pas uniquement financier, c'est aussi social. Les équipes n'ont pas les mêmes règles.
On prend le départ d'une course avec une équipe qui n'a pas les mêmes contraintes financières, qui n'a pas les mêmes contraintes sociales. On mélange des pommes et des poires dans la même recette. À partir du moment où on autorise des équipes à avoir des salariés indépendants, là où dans d'autres équipes on est obligé d'avoir des salariés, il y a tout de suite un décalage qui s'installe. Maintenant, je pense qu’on ne s'en sort quand même pas trop mal. On essaie de jouer dans la cour des grands mais on est contraints de constater que dans cette cour des grands, il y en a qui sont vraiment d'une dimension qui est énorme.
On voit vraiment qu'il y a deux cyclismes aujourd'hui. Il y a les fantastiques qui jouent devant et derrière on a l'impression qu'on a affaire à des gens qui eux ne s'entraînent pas beaucoup et qui ne font pas le même métier.
Est-ce que vous voyez qu'il y a des discussions pour de potentielles réformes qui mettraient un petit peu plus d'égalité quelque part ?
Je ne vois pas d'évolution. Certes, on a des équipes qui sont en difficulté mais il y a d'autres équipes qui sont prêtes à prendre le relais et le cyclisme fonctionne comme ça depuis plus de 30 ans. Du côté des instances, on ne se pose pas trop la question de savoir s'il faut réformer. Le système n'est pas à l'avantage des équipes mais ça fonctionne comme ça depuis 30 ans et une équipe qui disparaît a toujours une équipe pour la remplacer. Ce n'est pas de la fatalité mais c'est comme ça. Ce n'est pas une équipe qui va changer le système.
Du coup, tant pis pour les perdants, finalement ?
Depuis 30 ans, c'est comme ça que ça fonctionne et la seule possibilité de voir une réforme s'instaurer, c'est de voir le nombre d'équipes réelles diminuer. Ça veut dire que si au lieu d'avoir 18 équipes en WT avec 25 candidats, on n'a plus que 13 équipes parce que tous les sponsors en ont marre du vélo et quittent le monde du cyclisme, là évidemment, les choses vont changer, mais on n'en est pas là.
Compte tenu de cette fragilité inhérente à ce sport, quel impact pourrait avoir une relégation pour Cofidis ?
Moi d'abord, je n'envisage pas la relégation, même si c'est souvent mis en avant et c'est vrai que si les classements s'arrêtent aujourd'hui, ça serait mauvais pour nous mais les classements ne s'arrêtent pas aujourd'hui. Je ne reçois pas cette question-là. Après, Cofidis existe depuis 1997. Cofidis a déjà évolué en deuxième division. Le cyclisme a changé, mais il est clair que de toute façon, une relégation, c'est toujours une difficulté supplémentaire pour une structure. Personne ne peut le nier mais ça ne remet pas en cause la pérennité de l'équipe Cofidis. C'est une autre certitude.